Imaginez un étang où les poissons grandissent deux fois plus vite, survivent mieux, et rapportent davantage à ceux qui les élèvent. Ce n’est pas de la science-fiction : c’est bel et bien en train de se passer au Cameroun, grâce à un projet audacieux baptisé PD-CVEP — ou, en bon français, Projet de développement des chaînes de valeur de l’élevage et de la pisciculture.
Financé à hauteur de 84 millions d’euros (soit environ 55 milliards de FCFA) par la Banque africaine de développement, ce programme vise un objectif clair : produire 10 000 tonnes de poisson de plus chaque année d’ici 2027. Et pour y arriver, il ne compte pas sur la chance, mais sur la science… et sur les gens.
Des poissons plus rapides, plus résistants, plus rentables
Le secret ? Des géniteurs de choix — des reproducteurs de clarias et de tilapias sélectionnés pour leur performance. Ces champions de la pisciculture atteignent leur poids commercial (entre 350 et 500 grammes) en 5 à 6 mois, là où il fallait auparavant 8 à 9 mois. Et ce n’est pas tout : leurs alevins survivent à 80-85 %, contre à peine 60 % avec les anciennes souches. Chaque femelle peut même pondre jusqu’à 20 000 œufs… et ce, trois fois par an !
Depuis octobre 2024, ces « super-poissons » ont commencé à coloniser 50 écloseries pilotes à travers le pays. Résultat : plus de 115 000 alevins déjà distribués aux éleveurs pour le grossissement. Et les premiers retours sont enthousiastes.
À Douala, Hermine Kemedeu Tchuileu, une piscicultrice engagée, ne cache pas sa satisfaction :
« Ces géniteurs certifiés changent tout. Ils grandissent vite, sont stables, et surtout, on sait d’où ils viennent. Fini les mauvaises surprises et les lots irréguliers. C’est une vraie révolution pour notre métier. »
Former, réhabiliter, structurer
Mais le PD-CVEP ne se contente pas de distribuer des poissons performants. Il forme aussi 280 pisciculteurs aux bonnes pratiques : gestion d’écloseries, élevage en cages flottantes, alimentation adaptée… De quoi professionnaliser un secteur longtemps laissé à l’improvisation.
Et pour renforcer la chaîne depuis la source, trois stations piscicoles clés — à Bamenda, Yaoundé et Foumban — sont en cours de réhabilitation. Objectif : produire localement, en grande quantité, des alevins de qualité, accessibles à tous les éleveurs du pays.
Un enjeu vital : nourrir le Cameroun sans dépendre de l’étranger
Car derrière ces chiffres et ces bassins, il y a un enjeu stratégique majeur. Aujourd’hui, le Cameroun produit environ 230 000 tonnes de poisson par an… mais en consomme près de 730 000 tonnes. Oui, vous avez bien lu : un déficit de 500 000 tonnes ! Pour combler ce fossé, le pays importe massivement — surtout vers les grandes villes comme Douala et Yaoundé, où la demande ne cesse de croître.
Heureusement, les choses bougent. Entre 2022 et 2023, les importations ont légèrement baissé, passant de 241 798 à 234 572 tonnes. Un petit pas, certes, mais un pas dans la bonne direction.
Pourtant, les autorités le savent : multiplier les projets ne suffit pas. Il faut que les résultats se voient dans les assiettes, dans les revenus des producteurs, et dans la stabilité des prix au marché. Le PD-CVEP est une pièce essentielle de ce puzzle — mais il faudra aussi du temps, de la coordination, et surtout, un soutien continu aux petits et moyens éleveurs qui sont le cœur battant de cette filière.
Un poisson à la fois, le Cameroun avance
Alors, oui, le chemin est encore long. Mais chaque alevin distribué, chaque pisciculteur formé, chaque étang modernisé est une victoire. Une victoire contre la dépendance, contre la pénurie, contre l’idée que le Cameroun ne peut pas nourrir ses enfants avec ce que sa terre — et ses eaux — lui offrent.
Et si tout se passe comme prévu, d’ici quelques années, ce ne sera plus seulement le cacao ou le pétrole qui feront parler du Cameroun… mais aussi ses poissons, élevés ici, vendus ici, et peut-être même exportés un jour.
Parce qu’au fond, un bon repas commence souvent par un bon poisson — et un bon avenir, par une bonne stratégie. 🐟✨